Innovez pour la parité, c’est possible. Sans quotas.
Lettre ouverte aux 41 dirigeants de grandes entreprises qui, le 7 mars dernier, à l’occasion de la Journée internationale des Droits des Femmes, se sont engagés sur des objectifs chiffrés en matière d’accès des femmes aux responsabilités.
Madame, Monsieur,
les objectifs sur lesquels vous vous êtes engagés dans la tribune publiée le 7 mars 2021 par le JDD, sont pour vous le « dernier étage à la fusée » visant à atteindre la parité hommes-femmes dans vos entreprises. Pour y répondre, vous avez indiqué que « l’innovation » et « l’ouverture » étaient aujourd’hui nécessaires.
Je voudrais vous inviter à porter votre attention sur le chiffre suivant : en 2020, l’INSEE a mesuré que les mères ont une probabilité d’accéder aux 1 % des emplois les mieux rémunérés inférieure de 60 % à celle des pères. Les inégalités d’accès aux emplois les mieux rémunérés sont beaucoup plus importantes entre les mères et les pères qu’entre les femmes et les hommes*.
Qu’est-ce qu’un cadre dirigeant ? C’est quelqu’un qui a toute liberté pour organiser son travail. En creux, c’est quelqu’un dont la vie privée ne doit pas interférer sur les enjeux de l’entreprise et dont la haute rémunération compense la priorité donnée au travail. Des horaires supérieurs à 55 heures par semaine, qui se prolongent souvent le soir à domicile, mais aussi les samedi, dimanche et jours fériés, en sont les caractéristiques fréquentes et quasi statutaires.
Sauf exception, cette disponibilité professionnelle a un fort impact dans les couples qui souhaitent assurer une présence parentale significative auprès de leurs enfants. La statistique de l’INSEE dit que quand un père de famille assume la charge de travail d’un cadre dirigeant, il y a souvent une mère de famille qui, elle, n’a qu’une faible chance d’exercer le même type de responsabilités. Le statut de cadre dirigeant a été historiquement pensé par les hommes et pour les hommes : il témoigne d’une époque révolue, celle où dans les couples, les pères de famille pouvaient s’appuyer sur une épouse dédiée à leur réussite professionnelle.
Il y a un vrai défi à réinventer les modalités d’exercice au plus haut niveau des fonctions dirigeantes et répondre ainsi aux souhaits massifs de la jeune génération, qui ne conçoit plus que, dans un couple, la réussite de l’un se fasse au prix de celle de l’autre.
Trop souvent, dans vos entreprises, les systèmes de gestion de carrière raisonnent « hommes », ou « femmes », c’est-à-dire « individus ». S’agissant des plus hauts niveaux de responsabilités, ces stratégies butent sur le mur de la vie réelle. En pensant d’avantage « couples », vous pouvez ouvrir une nouvelle frontière à l’innovation en matière d’accès des femmes aux CODIR ou COMEX.
En donnant le signal clair qu’il n’est pas acceptable que l’entreprise confisque des temps essentiels à la vie privée de ses collaborateurs, en invitant à revisiter les normes de rémunération et de charge de travail des cadres dirigeants pour qu’elles ne soient pas discriminantes, en supprimant le statut même de cadre dirigeant qui affranchit de la législation applicable au temps de travail, en valorisant un modèle de réussite professionnelle qui n’exclut pas les autres sphères de la vie, vous construirez un modèle de performance économique et humaine durable, attractif pour les nouvelles générations.
Aujourd’hui, réussir l’égalité dans votre entreprise, ce n’est pas demander aux femmes de s’intégrer au modèle d’hier, mais exiger du modèle qu’il s’adapte à elles, devenant ainsi véritablement inclusif.
Antoine de Gabrielli, Fondateur de Companieros, l’école du sens au travail, organisme de conseil et formation sur la diversité, initiateur du dispositif Happy Men Share More.
* Étude INSEE Première n°1803 parue le 18 juin 2020
Retrouvez l’article du JDD « 41 responsables de grandes entreprises s’engagent pour la parité, avec des objectifs chiffrés »